En commentaire de l’article précédent sur la Carretera Austral, un ami nous faisait le reflet de l’avoir également parcourue, en auto-stop, il y a 25 ans, et que rien n’avait sans doute changé. Sans doute. Une ligne électrique la longue en partie. Fréquentes sont toutefois les portions où il n’y a pas d’électricité. Nous avons plusieurs fois logé à la ferme, abrités dans un bâtiment annexe aux autres (au seul autre…). Nous y trouvions un abri du vent et du froid, un point d’eau (froide), parfois une toilette. Pas de courant électrique. Lorsqu’ils nous arrivaient de souhaiter recharger nos batteries, nous nous rendions compte puiser dans leurs batteries solaires. Un comble pour nous…

Un soir, nous nous étions installés dans un Refugio, où l’électricité était présente. Le gars nous indique fièrement qu’elle est produite par une turbine, de 1000 watts. La capacité de chacune de nos batteries, qu’à défaut de soleil ce jour-là nous souhaitions recharger. Nous allions vider complètement son installation…

L’eau courante n’existe presque pas. En même temps, nous sommes dans une nature immuable, inondée par les pluies et les glaciers. L’eau semble donc potable partout. Depuis notre arrivée en Patagonie, nous n’avons plus acheté d’eau en bouteille (ouf…) et n’avons dans le même temps jamais utilisé nos systèmes de filtration.

En quittant la Carretera austral, nous choisissons la direction de Futaleufù, dernière petite ville avant de retrouver l’Argentine. Tenant compte des présupposés météo (plus de soleil en Argentine), nous zigzaguerons entre les deux pays pendant quelques centaines de kilomètres, avec chaque fois un passage de col dans les Andes. Bon, soyons honnêtes, nous sommes encore dans le « bas » des Andes, le col le plus que nous traverserons ne sera qu’à 1500m.

Futaleufù nous séduit. Peut-être parce que nous n’avions pas d’attentes. Quelle surprise, déjà en arrivant à l’entrée de cette bourgade, de croiser la route de Jean-Do, Marine, et leurs trois enfants, sur des tandem pino Hase. Que de souvenirs ces vélos éveillent chez nous, qui avons roulé avant ce voyage-ci, et depuis plus de 7 ans, des milliers de kilomètres sur ce tandem génial. Nous sympathisons directement et passons deux soirées avec eux. L’occasion de papoter, échanger, jouer un uno, constater que tous les cyclistes ont les mêmes stress de savoir où et comment régler quotidiennement l’attention que demandent les vélos.

Pour nous, cet arrêt sera l’occasion de remplacer deux pneus, et surtout de réparer un des panneaux solaires, dont le montant a cédé sous la pression du ripio (doux mélange de nids de poule, revêtement type tôle ondulée, poussières, pertes de boulon, etc). Merci au père de Leonardo d’avoir pu trouver en quelques heures les bons profilés alu, qui jusqu’à présent tiennent le coup ✊.

Nous retrouvons aussi à « Futa » notre amie Eszter (hongroise) et rencontrons Judith (autrichienne). Elles ont décidé de coordonner leurs efforts et de voyager ensemble. Nous apprécions rencontrer tous ces voyageurs qui comme nous, ont la chance d’avoir le temps.

Nous quittons donc ce havre de rencontres avec un petit pincement au cœur.

Nous passons la frontière argentine peu après Futaleufù. Nous avons retrouvé le ripio, en partie en quittant Santa Lucia, et complètement après le passage de frontière. Les étendues nous semblent déjà plus grandes. Le soleil espéré est au rendez-vous.

Nous continuons à croiser d’autres cyclistes, même si à cette saison, ils se font plus rares. (Petit clin d’oeil à Ben, cycliste anglais solitaire, que nous croiserons et recroiserons). Et comme nous, tous zigzaguent entre les frontières du Chili et de l’Argentine. En fait, entre les cours d’eaux et les lacs, puisque la frontière est délimitée sur l’epine dorsale des Andes, selon que l’eau coule vers le pacifique (Chili) ou vers l’atlantique (Argentine) (nota bénéfice: je vous laisse imaginer les bazar lorsque les Andes s’écrasent vers le détroit de Magellan). Nous sommes par ailleurs maintenant rodés dans le passage des frontières. Vers le Chili, nous prenons soin de manger auparavant tous aliments périssables (fruits, légumes, fromage, etc). Vers l’Argentine, nous supposons retrouver plus rapidement des routes en ripio. Et aux guichets frontaliers, chaque pays a ses habitudes (ses deux guichets, l’un d’immigration, l’autre tant redouté de douane « rien à déclarer Monsieur le douanier »). Le no man’s land, souvent de plusieurs kilomètres, nous donne envie d’être rebelles et de nous arrêter. Et remontant vers le nord, à chaque col frontalier, nous gagnons en altitude.

Ensuite, direction le parc national Los Alerces, dont les cyprès et autres arbres millénaires sont classés au patrimoine mondial de l’humanité. L’avantage de combiner ripio et parc national est l’absence de trafic, ce qui nous permet de profiter pleinement et en toute lenteur de la nature et des paysages du parc. Il y a quelque chose de spécial dans cette région du monde, un lien étroit avec les arbres, qui personnellement nous transportent.

Les petits matins commencent à être plus froid; il n’est pas rare que du givre nous accueille au lever du soleil. Ici en avril, nous sommes en automne. La couleur des peupliers en témoigne.

A la sortie du parc (version locale, une centaine de kilomètres), nous montons sur la fameuse Ruta 40. Nous allons la suivre, nous en détourner, et revenir vers elle, durant 3000 km, jusqu’au nord de l’Argentine. Ruta dit retour à la circulation. Nous nous étions habitués depuis la Carretera Austral à ne plus avoir de traffic. L’arrivée à San Carlos de Bariloche se passera d’ailleurs dans l’énervement du trafic, accentué par l’étroitesse de la route, et l’affluence en cette période de Santa Semana. La partage de la route n’est pas encore acquis.


Peu après Bariloche, nous sommes accueillis par Bernadette et Jean-Pierre R., un couple de belges installés à Villa La Angostura depuis plus de 60 ans (pour lui, elle l’a rejoint peu d’années après). Quel accueil trop sympa ! Rien ne semble les avoir arrêtés, ni professionnellement (développeurs d’une station de ski, exploitants d’une scierie, club de tennis, un temps un restaurant, etc), ni personnellement (parents de 3 enfants, et grands-parents de 7 petits-enfants). Ils sont impressionnants par leur énergie et sont inspirants. Le temps de cette rencontre est aussi celui des douceurs, celles d’une maison « comme chez nous – la Belgique » (des spéculoos !).

Nous remontons ensuite la route des Sept Lacs, puis prenons la direction du Chili (2ème passage de col), et du parc du volcan Lanin (un autre parc arboré, dans lequel nous allons découvrir les araucarias).


En sortant du parc, et cinquante kilomètres plus bas, nous arrivons à Pucòn. Nous y sommes attendus et nous réjouissons de voir nos cousins Irène et Yves. Mon Oncle Michel et ma tante Minette (lire: de Bertrand) ont immigrés au Pérou à la fin des années ‘40. Yves a alors 7 ans. Il nous raconte cette histoire qui, pour moi, le plus jeune des cousins, se raconte comme un roman.
Nous partageons le même sang, celui de Jean et Valentine, nos grands-parents.

Qu’il est bon de retrouver la famille et de partager l’histoire commune, parfois avec un décalage de quelques décennies. Mais celles-ci n’ont pas de prises sur le cœur. Grâce à leur accueil, nous profitons pleinement de cette pause détente de quelques jours.
Je (lire encore: Bertrand) m’essaie à la mousse au chocolat, recette traditionnelle prodiguée par la fée Irène (qui elle-même raconte l’avoir partagée avec Marie, autre cousine; vous me suivez ?). La mousse était un régal. Nous nous essayerons à la voile, plongerons dans les eaux thermales du volcan de Villarica tout proche, randonnerons dans un autre parc naturel… L’histoire personnelle d’Irene et Yves, chacun séparément, et celle en couple, leurs enfants et petits-enfants, est aussi pour nous inspirante. Vivants depuis leur enfance au Pérou puis emmenant leur famille au Chili, plus au nord, à Talca. Quelle joie que cet accueil, et le temps qu’Irene et Yves nous ont consacré (en faisant même la route jusqu’à Pucòn ! pour nous retrouver). Le temps était alors suspendu.

Nous avions déjà été interpellé par l’histoire collective, celles de ces familles belges venues s’installer fin des années 40 au Chili, notamment dans la région de Los Lagos. Nous avons en mémoire une bière aux myrtilles brassée traditionnellement selon les recettes belges.

Nous restons plus encore émus de ces rencontres multiples, tirées de l’Histoire personnelle de ceux et celles que nous rencontrons, et qui ont épinglé notre route ces dernières semaines. Elles sont chaleureuses et nourrissantes, sans doute plus que les centaines de kilomètres de pampa désertiques qui nous attendent (dans lesquelles nous trouverons certainement autre chose 😉).

4 Replies to “San Carlos de Bariloche et le temps des rencontres”

  1. Soudain envie de tout claquer et venir vous rejoindre !
    Vous êtes si passionnants, merci encore et encore pour ces récits si fascinants et touchants.
    A très vite pour la prochaine chronique…
    Julie

  2. Nous gardons un excellent souvenir de votre passage à Angostura et vous félicitons pour la manière si intéressante pour vous, ainsi que pour ceux qui ont le plaisir de vous lire avec vos bonnes photos qui attireront certainement de nombreux autres voyageur vers la Patagonie et les autres coins de la Cordillère des Andes.
    Les rédactions de vos chapitres comme vos photos sont magnifiques et mériteront d’être édités à votre retour en Belgique, nous réservons déjà une édition.
    Pour ceux qui vous lisent et désireraient plus de renseignement sur notre vie à Villa-la-Angostura, ils pourront les trouver dans notre Blogspot : jpraemdonck.blogspot.com
    Avec l’espoir d’une prochaine rencontre, nous vous souhaitons une très bonne continuation de découvertes. Jean-Pierre et Bernadette

  3. Merci encore et encore pour vos partages et les récits de vie de ces aventuriers qui ont tout quitté pour un oui audacieux, explorateurs. Si touchant ces liens de parentés sur les chemins du monde. Nous avons tellement été baigné dans cette illusion de la séparation et vous nous plongez dans vos récits, à ce qui relies au delà des océans et espace temps. Merci de tout coeur Valérie et Bertrand pour ce que vous nous offrez. C’est précieux et cela nourrit notre sens de l’humanité et bien plus. Belle présence à vous dans chaque instant et puissiez vous encore et encore vous laisser bercer par la grandeur de ces paysages et l’intime de ces foyers. Amitié, chers citoyens du monde, chers terrien.

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