Basculer. Telle est l’impression qui grandissait lorsque nous avons quitté San Diego. Nous avions volontairement choisi d’éviter de passer la frontière à Tijuana, pourtant la première ville mexicaine la plus proche de San Diego. Sans aller jusqu’à Mexicali, nous avons préféré la ville de Tecate, parce que plus petite et dont le « réseau » routier nous semblait (et ce sera le cas) moins inextricable.
A l’approche de la frontière, une autre réalité nous apparait ; nous croisons plusieurs voitures de douaniers et autres policiers.
Nous passons la frontière sous une pluie battante, détrempés (la première depuis le Yellowstone). Je ne comprends pas, nous ne sommes pas « sortis » des Etats-Unis, nous sommes rentrés directement dans le Mexique ( !). Et toute trace d’anglais à subitement disparu. Le temps de glisser le long de la descente vers le centre ville, et la nuit est là. Nous nous jetons dans le premier hôtel trouvé, à l’abri de la pluie d’abord, et le temps de se ressaisir de ce basculement. Ce basculement a vu l’arrivée aussi d’un cinquième compagnon. Enfin, pas vraiment, disons un alterego, puisque Bertrand s’est effacé et a laissé la place à Beltràn.
Nous voilà enfin dans la Baja California dont nous avions déjà tellement discuté et rêvé.
L’état des routes nous surprend positivement. Nous avons « perdu » le shoulder (accotement) que nous rassurait tellement jusqu’ici. Néanmoins, la « 3 » (autopista) reste acceptable. Notre pire ennemi, le camion, reste bien présent. Toujours aussi longs, ils ne ralentissent rarement et se rabattent trop rapidement. Je dois donc user d’ingéniosité afin d’établir un bref mais précieux contact gestuel avec le chauffeur, histoire qu’il enregistre tout aussi rapidement que nous ne faisons pas juste partie du paysage…
Moins sympathique, le nombre impressionnant de carcasses d’animaux qui jonchaient les highways jusqu’à présent a été remplacé par un nombre tout aussi impressionnant de croix ou petites chapelles. Sans commentaire. Les routes sont aussi jonchées de détritus en tout genre, surtout en plastique. Sacs, bouteilles usagées (trop souvent remplies d’un liquide jaunâtre que je vous laisse deviner…).
Les chenilles ont laissé la place aux scarabées, serpents (heureusement morts) et autres araignées. Ces chenilles made in USA qui nous avaient fait sourire ; un jour, elles semblaient toutes avoir décidé de se baigner dans la rivière de l’autre côté de la route ; nous essayions de les éviter, mais vu le traffic derrière nous, il est vraisemblable que peu d’entre elles aient pu profiter de cette séance de natation.
L’aridité de la chaîne de montagne, et sa typologie géologique, ont remplacé les plages du littoral californien. Le système routier rend la traversée de la Baja assez simple. Après Tecate, direction Ensenada ou la côte pacifique ; puis rentrée dans le massif montagneux que nous traversons une première fois vers la Mer de Cortès. Nous prenons ensuite la « 5 » pour quitter la Mer de Cortès, retraverser le plateau montagneux, et re-descendre vers le pacifique par la « 1 ». Et ainsi de suite, un jeu de yoyo jusqu’en bas. Je résume cela autrement. Avant-hier soir : poisson (Pacifique) ; hier soir : poulet (montagne) ; ce soir, poisson (mer de Cortès) ; demain soir : poulet (montagne), etc…
Ce serait sans doute réduire la cuisine mexicaine à ces seuls ingrédients. Nous comprenons que les fast-foods sont avantageusement remplacés par les burritos, les tortillas, et autres tacos. Les villages (campos) sont éparpillés et peu nombreux (la Baja compte 70.000 km2, et 15 habitants par km/2). Nous trouvons assez facilement des « restaurants », qui servent de la nourriture toute la journée (même si la séparation horaire entre les différents repas est stricte, et qu’à 11h 30, nous n’aurons encore que le desayuno, même si nous ne sommes pas loin de midi). Aussi, nous conservons toujours avec nous un ou deux repas basiques en backup (souvent des pâtes).
Et nous trouvons facilement des Llantera (boutiques de pneus, ce qui ne nous est pas très utile !). Par contre, trouver un mercado est plus difficile, ainsi que trouver un logement. Les distances sont grandes, et désertiques.
Quand nous ne trouvons pas d’hôtels, nous logerons ici dans une maison abandonnée, là dans une annexe d’une ancienne pompe à essence (aussi abandonnée). A chaque fois, nous établissons un contact avec quelqu’un, histoire de bien montrer que nous sommes là, « autorisés » par un local ; et de nous sentir plus en sécurité. Nous avons rejeté l’idée de planter notre tente près de la route.
Nous devons être prudents ; le changement horaire et la latitude, la première semaine dans la Baja, nous rappellent que le soleil se lève encore relativement tôt (à 8h, il fait déjà aussi 20 degrés) et se couche tôt ; nous devons commencer à réfléchir/rechercher un logement déjà à partir de 14h. A 16h30, il fait nuit et la température a bien chuté. Depuis l’entrée dans la Baja Sud (la Baja est divisée en deux provinces, Nord et Sud) et le passage du 28ème parallèle, nous avons « récupéré » une heure ; donc le soleil se re-couche plus tard (17h30/18h) (et se lève plus tard) ; et comme notre horaire est calqué sur celui du soleil, nous sommes plus en phase avec notre rythme biologique (il faut avouer que dans la Baja Norte, nous nous étions un soir couchés à 19h…).
Depuis maintenant presque trois mois de voyage, nous avons perdu une partie de nos codes sociaux. Cela se vérifie ici plus que précédemment. Nous n’abordons pas les gens pour ce qu’ils font, mais pour ce qu’ils sont. Nous recherchons le contact dans notre humanité commune. Il s’agit du plus petit dénominateur, qui va guider sans doute le voyage dans les prochaines semaines et prochains mois. Nous avons confiance dans cette part d’humanité, qui nous fait avancer. Plus qu’une poignée de mains (semble peu pratiquée ici), il suffit souvent d’un regard (intense), ou d’un sourire. Et à ce jeu-là, les mexicains que nous avons rencontré jusqu’à présent se débrouillent très bien. Peut-être est-ce parce que nous sommes dans les provinces de la Baja ? Nous faisons le postulat que non, et que le reste de l’Amérique centrale (dans laquelle j’inclus le Mexique) sera du même acabit.
Toutefois, nous restons encore prudents ; nous mettons nos cadenas tous les soirs sur les vélos et remorques. En journée, au moins l’un de nous reste en permanence près d’eux, par exemple lorsque l’autre fait des achats dans un mercado ou autre commerce de détail. Nos engins attirent encore l’attention, moins qu’en Amérique du Nord. Nous n’avons quasiment plus de question sur le solaire; sans doute qu’à la fois ces engins impressionnent, et qu’il y a la barrière de la langue.
Nous travaillons notre espagnol😉.
Beltran 🙂
Nous n’abordons pas les gens pour ce qu’ils font, mais pour ce qu’ils sont … magnifique !